Face à quelles réactions émotionnelles serai-je peut-être confronté ?

Avoir connaissance des réactions émotionnelles et comprendre les comportements possibles du patient ou de ses proches sont des éléments essentiels pour permettre à la relation de bien s’établir.

L’effet de l’annonce :

L’instant de l’annonce d’un diagnostic de déficience provoque de manière très fréquente, une réaction psychologique irrépressible et naturelle que l’on appelle une sidération.
Dès que le nom de la déficience est posé ou dès que l’idée d’un important problème de santé est énoncée, les personnes deviennent incapables d’entendre la suite des explications, tant à la fois le choc est violent et tétanise l’esprit, et tant les questions se bousculent de manière désordonnée dans leur tête. Tous les témoignages parlent de l’annonce en termes de « bombe », « séisme », « tsunami », « trou noir », « fin du monde »…
Avoir connaissance de cette sidération a de nombreuses répercussions sur la manière d’annoncer mais permet aussi d’amorcer un accompagnement futur (nous y reviendrons plus loin).

Mme Line Petit, psychologue :
Ca fait comme un blocage, un petit peu comme dans une maison, si vous allumez toutes vos lumières et si votre compteur n’a pas la puissance nécessaire, c’est le noir. Eh bien, c’est pareil : il y a une incapacité à penser et les parents vont s’obstiner à rester sur une phrase. On aura beau leur expliquer plein, plein de choses, ils n’entendront pas. (36)


Le papa de Pierre :
J’allais être l’homme le plus heureux du monde, avec le plus beau bébé du monde et je me suis retrouvé sur un ring, le médecin avait des gants en face de moi. Il a frappé. J’étais K.O., en sang, en sueur. Quand j’ai repris mes esprits, il y avait Pierre qui criait. (37)


Dr Thierry Servillat, Psychiatre-Psychothérapeute :
Par rapport à que l’on raconte, c’est une sorte d’expérience où il y a une perte de ce vécu, de contact avec l’autre, avec l’environnement, avec les points de repère habituels. (…) On pourrait dire que dans certains cas extrêmes, il peut y avoir des épisodes de dépersonnalisation comme on dit en psychiatrie. (87)

Etendue du champ émotionnel :

Les émotions et les sentiments éprouvés à l’annonce de déficience sont nombreux et varient en fonction du contexte de vie : la colère, la révolte, la tristesse, le sentiment d’injustice, la culpabilité, la honte, la blessure narcissique, le rejet, le déni, la peur, … . Certains sentiments peuvent perdurer toute la vie.

Mais ce sombre tableau ne doit pas nous faire occulter d’autres sentiments qui peuvent coexister lors de l’annonce : l’empathie et l’amour. De même, il ne faut pas perdre de vue que ces sentiments s’adressent non pas à l’enfant, mais bien au fait de la déficience et de ses handicaps.

Anonyme :
Il n’y a rien à faire, c’est ça le plus dur. On ne sait pas contre quoi se battre. On ne se bat pas à armes égales. Parce qu’on ne peut lutter contre le handicap, il faut l’accepter. Je ne l’ai pas accepté parce que je trouvais cela tout à fait injuste. (38)


Dr Db :

J’ai souvent remarqué des éléments de culpabilité dans le discours parental (plus souvent chez la maman que chez le papa…) : « Qu’ai-je bien pu faire pour avoir un tel malheur ? J’étais trop âgée. J’ai refusé l’amniocentèse, ça devait m’arriver ». Il me faut alors systématiquement reprendre objectivement les éléments, mais cela nécessiterait un long accompagnement psychologique. (39)

Devant cet obstacle qui se dresse dans leur vie, des doutes sur leurs propres capacités, mais aussi le découragement et la dépression peuvent apparaître.
Face aux émotions, certaines personne peuvent présenter des stratégies de défense : le besoin de réparation, d’expiation, de surprotection, de projection.
L’annonce peut par exemple générer une réaction subjective vis-à-vis du professionnel : quelle que soit la manière dont sera annoncé le diagnostic, celui qui apporte la mauvaise nouvelle sera souvent pris comme bouc émissaire. Il endosse le rôle de l’oiseau de mauvais augure et peut alors, par projection, focaliser sur lui la colère de la personne et de ses proches. Ainsi, certains parents en voudront à ce « mauvais » médecin et préfèreront s’adresser à un autre professionnel qui prendra, à leurs yeux, le rôle du « bon » médecin, celui qui soigne et accompagne.

Dr Thierry Servillat, psychiatre-psychothérapeute :
Je crois que pour annoncer une mauvaise nouvelle comme on dit, il est important de pouvoir assumer la continuité d’une relation, c’est-à-dire : « Je vous dis quelque chose qui ne va pas nous séparer et tuer la relation que nous avons ensemble ».(…) « Je vous annonce quelque chose qui va vous décevoir, vous attrister, vous mettre en colère ». C’est O.K., comme dit un de mes collègues, canadien : « Vous avez le droit d’avoir des émotions, vous avez même le droit de m’en vouloir temporairement, de vous assommer comme ça. Je suis là et je reste là pour être avec vous dans ce moment ». C’est facile à dire, très difficile à faire certainement. (40)


Dr Db :
Je n’oublierai jamais l’agressivité qui est sortie brutalement. J’ai appris par la suite que ces parents avaient craint que je n’aie adouci le diagnostic intentionnellement et voulaient éviter un « acharnement thérapeutique ». En clair, la maman m’expliqua par la suite que son mari refusait absolument la perspective d’avoir un enfant handicapé. (41)

Déshumanisation de l’enfant

Comme évoqué précédemment, le risque est grand que les parents ne voient plus que le handicap de leur enfant, et qu’ainsi ils réduisent les perspectives de l’enfant et par là-même, ses capacités à s’épanouir.
L’attitude du professionnel au moment de l’annonce sera en ce sens déterminante (choix de la présence ou non de l’enfant, le fait de s’adresser à lui même si c’est un nourrisson).

Anonyme :
Tant que nous avons vécu notre fille comme amputée de l’intelligence, comme la victime d’une monstrueuse injustice, non seulement nous ne l’avons pas reconnue dans sa vérité à elle, mais nous l’avons empêchée de se reconnaître elle-même à la façon qui lui est propre, d’épanouir toutes les possibilités que porte en elle une personne handicapée. (42)


Une maman pleure dans notre bureau parce qu’elle sait que son fils perd la marche et sera bientôt en fauteuil roulant. Alors que son fils dessine sur une petite table à côté, elle dit : « Il ne sait pas que, bientôt, il ne marchera plus ». L’enfant est devenu transparent pour elle, comme si tout en étant présent dans la pièce, il devenait absent. Thomas, lui, sans lever les yeux de son dessin et en ayant l’air très concentré sur sa création, dessine une famille où tous les membres sont assis sur des chaises. C’est le moment fort de l’entretien, car en nous adressant à Thomas, nous lui signifions que nous avons entendu et surtout que nous avons vu que lui aussi avait entendu ce qui avait été dit, son dessin en témoigne. (43)


Mme Marie Soulard, infirmière-puéricultrice :
Je les incite vraiment à beaucoup, beaucoup s’occuper de ce bébé. De participer beaucoup aux changes, à la prise des biberons et leur montrer qu’il sait faire des choses ce bébé, qu’il est capable de petites performances à son niveau. (88)

La mobilisation des forces, des ressources familiales

Si les nombreuses réactions émotionnelles font partie des aspects douloureux de l’annonce, de considérables ressources présentes tant chez le patient que chez ses parents, peuvent aussi se révéler à cette occasion.
Certains parleront du processus de deuil, d’autres de résilience, ou d’une réorganisation psychique ou familiale…

Ces ressources se manifesteront par la capacité de chacun et de son entourage à pouvoir faire face et à surmonter l’épreuve. Ils seront parfois eux-mêmes étonnés de cette faculté dont ils ne se pensaient pas capables.

Cette mobilisation s’inscrira dans le temps, de manière extrêmement variable selon la personne, sa famille et son environnement et ne sera pas nécessairement acquise de manière définitive non plus.

Tous les écrits sur le sujet s’accordent pour dire que ces capacités de traverser, de rebondir seront grandement facilitées par les facteurs environnementaux, dont particulièrement les aides proposées et les personnes de confiance qui renforceront le patient et sa famille dans leurs compétences.

Anonyme (parents) :
Nous avons « résisté », car le médecin a pu nous parler d’un futur, dire qu’il nous accompagnerait. Par son attitude ferme et calme, nous le sentions partie prenante dans la terrible épreuve qui nous terrassait. Nous n’étions pas seuls.(44)


Maïté (Maman) :
Le personnel du service des nouveau-nés a toujours eu envers moi une attitude chaleureuse tout en restant naturelle et j’ai beaucoup appris en les voyant aimer mon tout-petit. Jamais elles n’ont fait de différence et moi, qui m’attendais à subir les souffrances de l’exclusion, de l’être-à-part, j’ai commencé à oser aimer mon enfant devant les autres …
Dès ce jour-là, je me suis attachée très fortement à lui et j’ai su que Clément était « mien » désormais. (45)