Quand les émotions se bousculent, en vous et autour de vous

Lors de la découverte d’un handicap, c’est souvent la réaction et les émotions des parents bien plus que la déficience elle-même qui touchent les frères et sœurs.

Peut-être avez-vous ressenti de l’incompréhension, voire même de l’angoisse en voyant vos parents vous consacrer moins d’attention, perdre pied ou être envahis d’émotions inexplicables que vous avez comprises plus tard, quand vous avez fait le lien avec le handicap.

Et puis, comment ne pas être parfois triste, et même très triste, ou en colère, et même très en colère, face au quotidien ? Vos émotions, comme celles de vos proches, évoluent au fil des années. Ce que vous aviez accepté un moment devient inacceptable à un autre, et inversement. Vous passez aussi par des phases de plus grande sensibilité, d’optimisme, de découragement, de révolte, de mise à distance, etc.

En raison de sa déficience, votre f/s a peut-être pris un autre chemin que le vôtre, et cela vous a éloignés l’un de l’autre. Comment avez-vous vécu son orientation vers une autre école, son entrée dans un internat spécialisé ou encore son exclusion du mouvement de jeunesse que vous fréquentiez ensemble ? Avez-vous été soulagé mais honteux de ressentir cela ? Avez-vous cru qu’un jour vous suivriez le même chemin ? Avez-vous pensé que vous n’aviez pas assez pris soin de lui ou que vous vous en étiez trop plaint ? Vous êtes-vous senti triste, ou en colère ?

Il est possible que vos parents, focalisés sur le changement, n’aient pas réalisé que cela vous touchait aussi et ne vous aient pas expliqué ce qui se passait.

On peut se sentir bien seul et perdu quand on vit des émotions, quand on n’ose pas les exprimer et poser des questions.

Alice, 38 ans :
Quand on a annoncé le diagnostic de handicap à mes parents, j’ai cru voir ma mère vieillir de dix ans en quelques jours. Mon père quant à lui, a réagi d’une drôle de façon, d’abord par une immense colère qui nous a tous ravagés, et puis par un dévouement total à mon frère, son seul garçon. Comme mon frère est autiste de haut niveau et était capable depuis tout petit de performances exceptionnelles, mon père l’a amené à droite et à gauche, comme une sorte de phénomène de foire. Ma mère l’a laissé faire, c’était ça ou l’éclatement de la famille. Elle ne s’est jamais opposée à cette utilisation impudique des talents de mon frère, à cet exhibitionnisme parfois pathétique. Ce n’est que beaucoup plus tard, lors de ma propre psychothérapie, que j’ai compris que mon père essayait ainsi de réparer la terrible blessure narcissique due au handicap de mon frère. Si seulement nous avions pu avoir un soutien au moment du diagnostic, peut-être que mon frère aurait été accepté pour ce qu’il est et pas pour ce que mon père voulait qu’il soit. (32)


Anonyme :
C’est comme si tout s’écroulait sans que je sache pourquoi ; c’était horrible, je me sentais perdue. Je ne savais plus ce que je devais faire. J’étais malheureuse, parce que je ne savais pas pourquoi mes parents étaient tristes alors que leur bébé était né. Je demandais à mon père pourquoi ma mère pleurait, il me disait que j’étais trop petite pour comprendre, que ce n’était pas grave, que c’étaient des affaires de grandes personnes. J’aurais voulu les consoler, mais je ne pouvais pas ; c’était dur. Quand j’insistais, mon père faisait celui qui n’était pas triste, il essayait de sourire, alors j’ai arrêté de poser des questions. (33)


Dominique :
Depuis sa naissance, je me suis efforcée d’être parfaite et de tout contrôler pour que mes parents ne souffrent pas (en cherchant à ce que tout ait l’air toujours normal aux yeux des autres). Seulement, comme je n’avais que 4 ans à la naissance de mon frère, je me suis trompée en croyant qu’il m’incombait soit de réparer soit d’assumer la trisomie de toute la famille. Dans le fond de mon cœur, j’avais honte de mon frère, honte de ma honte, envie d’effacer son existence. Je me sentais terriblement coupable de ces désirs fratricides et coupable d’être plutôt brillante (et à ce titre je me vivais moi aussi comme anormale). Tout a plus ou moins tenu jusqu’à mon premier échec scolaire à 18 ans. Je me suis sentie flouée de la réparation à laquelle j’avais naturellement droit en échange de la souffrance que je croyais devoir taire. (34)


Eléonore, 23 ans :
Ma petite sœur est née avec un retard mental. Lorsqu’elle avait 9 ans, et moi 12, elle a été victime d’un accident vasculaire cérébral. A ce moment-là, je n’ai pas arrêté de me dire « Pourquoi elle ? Pourquoi elle alors qu’elle est déjà atteinte d’un handicap mental ? Pourquoi le sort s’acharne-t-il sur elle et pas sur moi ? ». Ce fut une période très dure où j’ai énormément culpabilisé. Je ne comprenais pas pourquoi ça tombait sur elle et pas sur moi… (20)