Le sens du handicap dans notre société

Le handicap et ses corollaires (la déficience, la différence et l’incapacité) ont une image très négative et provoquent souvent un rejet dans de nombreuses sociétés tant occidentales qu’ailleurs. Si c’est un constat, ceci ne doit pas être une fatalité.
Avoir conscience et comprendre les motifs de ces jugements et de ces comportements sont sans nul doute la voie vers un autre regard sur le handicap.

Aussi évolué qu’il soit, intellectuellement parlant, l’être humain garde en lui des comportements auto-protecteurs, de profondes réactions instinctives ou des jugements primaires.

La déficience nous rappelle la fragilité de notre propre enveloppe corporelle.

Elle renvoie aussi à notre fantasme d’être parfait, sans défaut, comme si c’était de l’ordre du possible. Or, nous sommes tous constitués d’éléments potentiellement déficients (organes, fonctions, comportements, …) …mais nous préférons ne pas le savoir. De la même manière que nous nous savons mortels et que nous évitons d’y penser quotidiennement pour vivre loin de cette perspective généralement angoissante, de nombreuses personnes préfèrent ne pas voir une personne déficiente, en ce que cela leur rappellent qu’elles pourraient un jour se retrouver dans cette situation.

La différence nous renvoit à la peur de l’autre, de l’inconnu.

L’homme garde profondément ancré en lui son instinct animal. Pour une question de survie de l’espèce et une protection contre tout ennemi, il se doit d’adopter un comportement de méfiance, voire de rejet, face à celui ou celle qui n’est pas comme lui.
Le besoin souvent viscéral d’appartenir à un groupe social, sportif ou culturel trouve ses racines dans ce même comportement.
Notre conscience et notre intelligence ne pourraient-elles concevoir les choses autrement ? Serions-nous incapables de dépasser notre instinct primal ?
L’équilibre d’une vie ne passerait-il pas par un juste partage entre les moments où l’on va à la rencontre de ses goûts, partagés avec ceux qui les aiment, et du temps, que l’on passerait à rencontrer et goûter la différence des autres.

La différence nous renvoie aussi à nous-même.
L’autre, dans sa différence, nous fait voir une part de nous-mêmes que nous avons peut-être refoulée ou mise « sous contrôle ». Ainsi, cet « autre » nous ressemble. La peur de la différence, c’est donc aussi la peur de se voir soi-même dans l’autre.

Enfin l’incapacité n’est jamais qu’une question de valeurs.

La société en général voit le handicap avant tout en terme d’incapacité : la personne à mobilité réduite, l’aveugle, le déficient mental etc. S’il est logique de cerner une personne par rapport à des caractéristiques évidentes et importantes, cela réduit non seulement la personne porteuse de déficience à une étiquette étriquée, mais cela n’ouvre pas la voie à la reconnaissance de tant d’autres facultés.

Si la déficience ne se voit pas nécessairement, l’incapacité de l’autre peut être bien visible. Il n’est plus possible alors de l’ignorer. La tendance naturelle sera par conséquent de ne plus voir que cette incapacité en l’autre.

Chacun, en fonction de ses dons, de son parcours de vie ou de sa formation professionnelle a des compétences, des capacités particulières. C’est tout aussi vrai pour la “personne handicapée”.
Ainsi, si vous demandez à un sportif de haut niveau de réaliser une oeuvre picturale alors qu’il n’a jamais tenu un pinceau entre ses doigts, il est probable que vous le jugiez comme “incapable” en la matière. Inversement, demandez à un peintre de participer à un triathlon, il est fort probable qu’il termine bon dernier, voire hors délais.
Revoir ses propres jugements de valeurs et reconnaître les capacités de chacun, n’est-elle pas la seule voie pour une vie commune au sein d’une société plurielle ?

Françoise (Maman) :
J’ai tout de suite vu qu’il se passait quelque chose. J’étais effondrée. Le pédiatre a dit qu’il y avait une suspicion de trisomie puis il a disparu derrière une plante verte. 42


Anonyme :
Le pédiatre, tout en nous révélant le handicap, a su accepter ma colère, mon rejet. Il est resté auprès de nous, s’est adressé à l’enfant par son prénom, l’a pris dans ses bras. Puis, il est revenu et nous a montré ce que notre bébé était capable de faire. 110


Luc Boland :
Mon fils est aveugle de naissance. Il ne peut concevoir ce que « voir » veut dire et il est heureux de vivre. Mais lorsque nous expliquons sa situation à des gens qui ne le connaissent pas, les réactions sont quasi systématiques. Nous avons droit aux : « Oh, mon Dieu ! », « Quel Malheur ! », « C’est horrible ! », « OH, le pauvre » etc.
C’est quand même incroyable comme les gens font avant tout une projection personnelle de la situation, traduisez : « Ce serait affreux si j’étais aveugle ». Pourtant, si je vous disais que j’ai un septième sens qui n’a rien à voir avec les autres – appelons-le « le Snurf »-, qu’avec celui-ci je peux percevoir des “snurfies” qui me permettent de « snurfer » à distance, vous ne pourrez concevoir ce sens qui vous est inconnu. Seriez-vous malheureux pour autant ? Vous sentiriez-vous amoindri ? 137


Charles Gardou :
Nous réduisons encore, peut-être inconsciemment, ces personnes à leur déficience, et les pensons inconciliables avec les exigences de notre société. On amalgame la maladie, qui relève du soin, et le handicap, qui correspond à la situation qui peut en résulter et représente un défi social à relever. Aussi parler de situation de handicap n’est pas, loin s’en faut, de l’ordre du tour de passe-passe terminologique. A concevoir le handicap comme seul attribut de la personne, les visages s’effacent à l’aune de la catégorie : les « handicapés », les « déficients moteurs », les « autistes ». etc.175