Et votre vie dans tout ça ?

Pour de nombreux frères et sœurs, il n’est pas facile de prendre sa place, d’exister pour soi-même, tout comme il n’est pas facile, pour un arbuste, de pousser à côté d’un grand arbre qui prend toute la lumière et dont les racines captent beaucoup de ressources du sol.

Vous avez peut-être ressenti cette tension entre vos besoins et ceux de votre frère ou de votre sœur handicapé(e). Il ou elle a sans doute des besoins plus nombreux et plus accaparants pour vos parents. Et pourtant, vos besoins sont là, tout aussi importants.

Vous n’osez pas revendiquer votre place ? Vous étouffez souvent vos réactions, vos désirs ? Il n’est vraiment pas confortable de se considérer et d’être considéré comme « celui qui a la chance d’être en bonne santé » et, en même temps, de ressentir de la frustration, de la jalousie ou de la colère par rapport à « celui qui n’a pas cette chance ».

Parce qu’ils sont en souffrance en raison du handicap d’un de leurs enfants, vos parents ont certainement de plus fortes attentes vis-à-vis de vous qui n’avez apparemment pas de difficultés, et personne, dans la famille, n’en est sans doute conscient. Ces attentes, vous les avez probablement inscrites au plus profond de vous, et elles jouent un rôle important dans la manière dont vous vivez le présent et dont vous rêvez l’avenir.

Rendre service, seconder les parents, renoncer à certaines activités, c’est souvent bien nécessaire, et c’est, en plus, une manière de prouver votre affection et de recevoir de la reconnaissance. Certains parents exigent beaucoup d’aide de la part de la fratrie. D’autres la sollicitent peu. Dans une situation comme dans l’autre, il peut être difficile, pour vous comme pour vos parents, d’être bien conscients de vos besoins et de préserver votre espace personnel !

Les émotions difficiles autour du droit d’exister pour soi-même peuvent prendre trop de place et persister tout au long de la vie. Il est possible qu’un jour, comme beaucoup d’autres f/s, vous éprouviez le besoin d’y voir plus clair en vous-mêmes et d’aborder ces questions avec d’autres f/s, ou avec un professionnel.

Eléonore, 23 ans :
Sans que cela me soit imposé par mes parents, j’ai, durant mon adolescence, consacré énormément de temps et d’énergie à ma petite sœur. A mon entrée à l’université, j’ai été vivre en kot, et je me suis alors rendu compte que j’avais besoin de ME consacrer du temps et de l’énergie afin de ME construire. Cette distance par rapport à ma famille et au handicap de ma sœur m’a fait beaucoup de bien et m’a permis de trouver un juste équilibre entre la construction de MA vie et de MA personnalité, et les liens que j’entretenais avec ma famille. A l’adolescence, je me suis clairement mise de côté afin de tout consacrer à ma petite sœur et à son épanouissement. Lors de mon passage à l’université, le fait de trouver un équilibre entre les deux m’a fait un bien fou. (9)


Caroline, 24 ans :

Bonjour je suis Caroline, j’ai 24 ans. J’ai une sœur de 26 ans et une de 12 ans, qui sont toutes les deux handicapées. Elles ont une atrophie au cervelet. J’ai beaucoup souffert du handicap de ma sœur aînée, de par nos 2 ans de différence. Petite, j’étais considérée mature et adulte avant l’âge, je devais veiller sur elle, j’étais dans la même école pour pouvoir l’emmener et qu’elle soit ainsi stimulée. En effet, mes parents considéraient qu’étant « normale », j’allais m’en sortir. Je me suis sentie livrée à moi-même. Je me suis concentrée sur mes études pour me prouver que je n’étais pas handicapée, j’ai un master en droit des affaires. Aujourd’hui, ma sœur aînée est autonome, moi je réalise que je n’ai jamais eu de vie privée à cause de l’obsession du handicap et l’objectif que je m’étais fixé. (10)


Sœur d’Alice :

Pendant longtemps, ça a aussi été se sentir coupable quand je déprimais. Je raisonnais de la manière suivante : « Ma sœur semble si bien supporter son handicap, qui est bien plus grave que tous mes problèmes ; de quel droit est-ce que je me sens mal ? ». C’est ma mère qui m’a expliqué que d’une part, elle ne le supportait pas si bien que ça, et que d’autre part, on ne compare pas les souffrances. (11)