Les mots et le regard des autres

De quoi dépend l’impact d’un message ? Du message lui-même, bien sûr (son contenu, sa fréquence, son intensité, …), mais aussi de l’émetteur (son intention, son attitude, …), du récepteur (son caractère, son humeur, …), et de la relation qui existe entre eux.

Vous avez sans doute vécu diverses expériences, positives ou négatives, rares ou fréquentes. Certains mots, certains regards peuvent vous mettre en colère ou vous démolir. D’autres, vous réconforter ou vous encourager. D’autres encore glissent sur la carapace que vous vous êtes construite au fil du temps. Mais même une carapace peut avoir des failles, des zones plus sensibles !

Et puis, quoi, n’avez-vous pas le droit au respect, comme tout un chacun ?

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Eva, atteinte d’une déficience motrice
« Si je faisais ma Simone de Beauvoir, je pourrais proclamer : on ne naît pas handicapé ; on le devient dans le regard des autres. Ça sonne bien, ça aurait de la gueule. Mais je n’ose pas vraiment. Je ne suis pas sûre de pouvoir généraliser à partir de ma petite histoire.
(…) Avec le gosse inconnu que je croise dans la rue, qui ouvre des yeux comme des billes et clame : ‘Mais qu’est-ce qu’elle a, la dame ?’, je n’ai pas de problème. C’est direct, ça peut être cruel quand ça vous surprend dès le début de la journée, mais c’est franc et sans arrière-pensée. Mes problèmes commencent avec le père ou la mère qui les tire brusquement par le bras, leur intime de la fermer, de ne pas me regarder comme ça ou murmure à leur oreille comme si j’étais atteinte de quelque maladie honteuse.
Mes problèmes commencent avec les yeux qui se détournent, le regard qui s’éteint. Mes problèmes commencent avec tous ces regards qui fuient, qui paniquent. Ces regards qui mentent en faisant mine de vous accueillir, de vous accepter pour vous dire ensuite que vous ne devriez pas vouloir autant de choses, vous montrer si exigeante, vous imposer ainsi. Que vous ne devriez même pas être là. Pas dans cet état. Les regards affolés, des portiers de discothèques butés, des automobilistes pressés, des profs bornés, des faux compatissances et vrais salopards. »

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Delphine, atteinte d’une déficience motrice
« Le regard a une importance considérable (…). Apeuré, plein de pitié, désolé, dégoûté, détourné, amusé ou émerveillé, il en existe de toutes sortes. Il faut composer avec. On s’y habitue ? C’est vrai et faux à la fois. Nous sommes peu étonnés d’être dévisagés dans un lieu public. Nous nous attendons toujours à éveiller quelques curiosités, surtout quand il y a des obstacles sur le chemin. C’est plus ou moins difficile à vivre selon l’humeur. (…) Depuis l’enfance, je ‘collectionne’ les regards. J’aurais voulu qu’ils m’indiffèrent et pourtant, accumulés, ils ont laissé des traces quelque part au fond de moi. (…)
Le handicap, surtout lorsqu’il est visible, est un filtre impitoyable dans la relation à l’autre. Dans une même soirée, nous pouvons passer du ‘pauvre qui n’a pas eu de chance’ au ‘mais c’est extraordinaire ce que vous faites !’(…) Pour ne pas sombrer moi-même dans (cette) double personnalité, il me faut remettre les pendules à l’heure. Expliquer gentiment, tenter de faire comprendre que je ne suis ni débile, ni géniale ou prendre les choses sous la forme de l’humour, pour donner la chance à une relation juste »

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Jeune femme atteinte d’une déficience motrice
« Depuis que je promène mon chien en laisse, tous les regards se posent sur lui. Les gens s’arrêtent, me demandent comment il s’appelle et s’ils peuvent le caresser. Ils se mettent à discuter…. C’est comme si je n’étais plus la même et que tout le monde voulait me parler. »